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Immuables sagnes aux visages qui changent

Depuis quelques temps, on me questionne régulièrement sur les conditions d’existence des zones humides ainsi que sur les changements de végétation. C’est l’occasion de revoir tout cela.

L’eau, une condition sine qua non d’existante des zones humides :

Nous retrouvons nos sagnes à l’entre-deux ; entre le milieu aquatique et le milieu terrestre. La présence de l’eau est l’un des facteurs écologiques fondamental. Elle doit y être de façon quasi-permanente. Parce qu’elle prend la place de l’oxygène dans le sol, elle bloque le processus de décomposition de la matière organique. Résultat, sur une zone humide la production de matière organique est supérieure à sa décomposition, et ça s’accumule. La tourbe, qui forme la tourbière, n’est autre que de la matière organique accumulée depuis des millénaires. Elle peut, selon les sites, atteindre plus d’un mètre de profondeur.

Nos sagnes ne sont pas nées de la dernière pluie !

Non non non, cela ne date pas de l’année dernière à cause de la forte pluie, comme je l’entends parfois.
Pour accumuler plusieurs dizaines de centimètres de matière, les zones tourbeuses que nous connaissons dans les Monts de Lacaune ont mis plusieurs milliers d’années. Les analyses de tourbe montrent que les prémices de leur formation remonte à l’époque néolithique, il y a quelques 5 000 ans.

Et pourtant elles changent

Cependant, je vous l’accorde, elles ne ressemblent pas forcément à ce que l’on a pu connaitre il y a 50 ans. La végétation a pu changer et les paysages ne sont plus ceux de nos souvenirs.
Les sagnes sont façonnées par les techniques de gestion appliquées : la fauche, le pâturage, le feu pastoral, les assainissements de surface. Le changement des pratiques de gestion engendre nécessairement un changement de végétation et donc un changement de paysage. Le changement climatique va également apporter son lot d’évolution des paysages.

Que se passe-t-il si l’on ne fait rien ?

L’arrêt du pâturage ou de la fauche engendre une évolution spontanée de la végétation. La molinie commence à prendre toute la place et pousse alors en formant ces « touradons » qui empêchent de marcher sans se casser la figure. L’ombre qu’elle fait gène le développement d’autres espèces. La végétation se banalise et s’appauvrit. Les ligneux aussi progressent quand le bétail ne vient plus. Le saule, l’aulne, la bourdaine, le pin sylvestre sont les espèces les plus communément présentes sur les sites non entretenus.
Ce processus d’évolution naturelle est assez rapide, quelques années suffisent à voir le milieu se fermer. Au bout d’un certain temps, on observe des formations végétales sinon en équilibre, au moins à peu près stables.

Retrouver un milieu prairial après une période d’abandon du pâturage est possible. Rien n’est figé dans la nature. Mais ce sera long. Cela demandera du temps, de l’énergie, de la constance, et surtout un projet sur le long terme.

Et même si l’on poursuit les techniques de gestion traditionnelles, la végétation n’est parfois plus la même que celle que l’on a connue.

Autrefois, les milieux faisaient parties intégrantes des systèmes d’exploitation. Elles étaient utilisées en fourrage pour l’élevage. Elles étaient pâturées et fauchées. Sur certaines, couraient aussi des béals, permettant d’évacuer l’eau en excès à la surface du sol, une reprise de la végétation plus précoce, ou de faciliter l’accès des bêtes. Lorsque la gestion des refus étaient difficiles, on pratiquait l’écobuage.

L’après-guerre a modifié notre approche de ces milieux. L’absence de main-d’œuvre, le reboisement de la France et sa reconstruction ont conduit à rendre ces milieux « contraignants ». Peu productifs, leur valeur nutritive reste faible, leur gestion complexe sans main-d’œuvre, et l’arrivée de la mécanisation a rendu leur entretien plus compliqué encore. Alors ce sont les premiers que l’on a laissé tomber. Beaucoup de sagnes ont aussi souffert des tentatives de drainage agricole et forestier.

La molinie, encore elle, a été favorisée par les assainissements qui ont asséché et minéralisé le sol, comme les feux pastoraux.
Un site sous-pâturé ou avec un pâturage irrégulier va engendrer la présence de refus de pâturage. Alors si le passage des engins agricoles est trop compliqué parce qu’il y a trop d’eau, contenir la progression de ces refus devient impossible. Et celle qui se sort le mieux de cette situation, c’est encore la molinie qui se développe formant les touradons.

Un pâturage trop important par contre va voir se développer des formations à grands joncs qui aiment les milieux sur-pâturés.

Bref, les choix des hommes sont pour beaucoup dans le dessin des paysages de sagnes.

Tant qu’il y a de l’eau la sagne est bien là

C’est l’histoire et les pratiques humaines qui façonnent les paysages de sagnes, mais tant qu’il y a de l’eau dans le sol, tant que les écoulements ne sont pas perturbés, quelle que soit la végétation qui pousse, la sagne est bien là. Elle conserve toutes ses propriétés hydrologiques qu’elle ait une tête de prairie bien entretenue ou un faciès de boisement touffu impénétrable.

Bientôt nous verrons avec le changement climatique apparaitre de nouvelles espèces, plus adaptées aux conditions plus chaudes et plus sèches.

La préservation des sagnes ne passe donc pas nécessairement par une gestion active du milieu. Ce qui compte surtout c’est la présence d’eau. Et ce qui importe dans un territoire si on veut penser biodiversité, c’est la mosaïque des milieux, ouverts, fermés, il faut de tout.

Laurence Volfinger, gestionnaire attentionnée des sagnes du Somail

J’ai rencontré Laurence Volfinger au Soulié, là-haut sur le plateau du Somail, à près de 1000 m d’altitude.

C’est le cœur du Parc du Haut Languedoc, coté Hérault, un paysage extra-ordinaire balayé tour à tour par les vents de Méditerranéée et d’Atlantique. Dans ces lointains confins qui vous saisissent de leur beauté rude et sauvage . Forêts, vastes étendues de pâturages, alternance de résineux et de feuillus, de landes et de l’eau, de l’eau, de l’eau partout. On est aux sources là-haut. Les animaux qui pâturent, dessinent ces paysages si beaux et font vivre ceux qui ont choisi de s’installer là-haut.

C’est ici que Laurence Volfinger vit, travaille, dirige l’école d’équitation du Somail qu’elle a créée. Passionnée de chevaux, de nature, depuis toujours, elle partage ses passions depuis maintenant 20 ans avec qui vient chercher là le dépaysement total. Sa singularité : proposer une équitation naturelle qui met au premier plan la relation cavalier/cheval grâce à une approche éthologique, un long et patient travail au sol, une équitation centrée et une mise en selle selon la méthode Alexander.

Elle élève un troupeau d’une trentaine de chevaux qui parcourent tout au long de l’année près de 70 ha. Ici les chevaux vivent pleinement leur vie de cheval, se nourrissant exclusivement d’herbe et de foin.

Six tourbières, sur près de 35 ha sont pâturées par les chevaux. Ces sites entretenus, offre à voir une belle diversité végétale. L’un d’eux héberge une remarquable station de Gentiane pneumonanthe.

Laurence, en fine observatrice, a depuis longtemps compris l’importance de ces milieux sur ce plateau et la ressource qu’ils constituent pour elle : de l’herbe verte pour ses chevaux quand tout est sec tout autour.
Malgré les difficultés de ces milieux, de leur éloignement de la ferme, elle a trouvé l’équilibre pour que ces espaces restent ouverts et utilisables par ses chevaux, pour préserver cette ressource fourragère essentielle.

Mais c’est encore elle qui en parle le mieux…. lire la suite

Depuis 20 ans Laurence observe ses sagnes

Elles ont toujours joué un rôle important ces sagnes, dans mon calendrier de pâturage et de plus en plus ces dernières années avec le réchauffement climatique et les périodes de sécheresse maintenant quasi systématiques en fin d’été. Mes pratiques de pâturage autour de ces zones humides ont évolué au cours de ces 20 ans en fonction de l’évolution du climat, de l’évolution de mon organisation et de l’évolution de mon expérience et de mes connaissances.

Les chevaux et les sagnes

Je peux remarquer en tout premier une belle adaptation des mes chevaux au pâturage sur ces zones : adaptation comportementale et digestive. Mes différents troupeaux ont développé leur appétence pour ces plantes, une certaine curiosité à gouter et profiter de tout ce qui se présente à eux, et une flore intestinale qui permet une assimilation optimale de ces végétaux. Les propriétaires de chevaux remarquent généralement une perte d’état lorsqu’ils mettent leurs chevaux en pâture sur une sagne, je le constate également avec les chevaux de passage sur mon exploitation. Mais mes chevaux à moi par contre ont tendance à y prendre du poids !

L’observation de l’évolution des sites

La plus belle évolution revient à mes yeux à la sagne de La Roque (site de l’ONF). Cette sagne est majoritairement couverte de molinie, avec une partie sud en bordure de l’Arn un peu plus embroussaillée. C’est un véritable tapis de jonquilles en avril. Pour une sagne enclavée en milieu forestier, je lui trouve une très belle ouverture du milieu C’est grâce au passage et pâturage des chevaux mais aussi grâce à l’exploitation par l’ONF des plantations de résineux alentours qui a rendu la parcelle beaucoup plus lumineuse. J’y observe même une couverture herbeuse en sous-bois, le jonc qui gagne un peu en bordure de zone à molinie et la régression du genêt. A tel point qu’il est dorénavant intéressant de la faire pâturer au printemps. En ce moment, je viens juste d’y mettre mon troupeau de 18 chevaux/poneys.

La sagne située sur la parcelle « sud » de Camifarrat (Le Rajal) est ma préférée au niveau biodiversité et beauté du paysage ! J’ai moins de recul pour y voir une réelle évolution, mais à l’œil elle me semble plus ouverte. Une coupe à blanc d’une parcelle de résineux juste au-dessus me semble y avoir eu un effet très bénéfique. J’ai l’impression qu’elle se maintient voire qu’elle évolue en terme de diversité, mais je manque un peu de recul pour ce site.

Je réalise que j’ai très peu d’éléments d’observation concernant la sagne du « grand pré » qui présente pourtant à mon avis pas mal de centres d’intérêt. J’y mets les chevaux en pâture en aout, période où j’ai d’autres sujets de préoccupation et moins de temps pour l’observation. C’est dommage, j’y ferai plus attention à partir de cette année.

Les sagnes les moins évolutives sont les sagnes à molinie/saule : Camifarrat nord (depuis environ 5 ans) et Malescalié sud (depuis plus de 20 ans). Il me semble que sur ce type de sagne l’impact du pâturage y est plus léger. Je ne constate ni augmentation ni régression de la population de saules, certes un peu consommés par les chevaux, mais vu la quantité disponible, c’est anecdotique. De même en ce qui concerne l’ouverture du milieu au niveau de la strate herbacée, je ne vois pas trop d’évolution sinon quelques ouvertures liées aux chemins dessinés par le déplacement des chevaux. Les touradons sont régulièrement « tondus » mais pas tous en raison de la difficulté d’accès pour les animaux.

Je constate cependant que les périodes de sécheresse de plus en plus régulières rendent le sol plus portant et plus praticable pour les chevaux qui investissent progressivement des zones de plus en plus reculées.

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